De nombreuses mesures de limitation des libertés publiques ont été prises par les pays confrontés à la pandémie de Covid-19.
Dans les faits, cette crise a autorisé la mise entre parenthèses d’un certain nombre de valeurs essentielles pour les démocraties occidentales: libertés de circulation et d’entreprendre, libertés de réunion et de manifestation ainsi que, de façon indirecte, droit à la vie privée et familiale et droit à l’éducation.
En France, la théorie des circonstances exceptionnelles ou encore l’article L. 3131-1 du code de la Santé publique ont pu servir d’appui à ces mesures privatives de libertés avant le vote d’un état d’urgence sanitaire par la loi du 23 mars 2020
L’une des traductions les plus spectaculaires de cette limitation des libertés résident probablement dans le confinement à domicile qui, au 7 avril 2020, concernait 4 milliards de personnes. Ce chiffre qui semblait pourtant difficile à imaginer il y a seulement quelques semaines interroge sur les formes de résilience des citoyens.
Dans cette configuration nationale et internationale particulière, il a un semblant utile de l’attention aux attitudes des Français sur ces mesures privatives de libertés.
Une enquête en huit vagues
C’est ce à quoi nous nous sommes employés dans le cadre de l’enquête comparée «Attitudes des citoyens sur le Covid-19», qui comprend désormais quatre vagues. La première à été réalisée les 16 et 17 mars 2020, la seconde les 24 et 25 mars, la troisième les 1er et 2 avril et la dernière en date du 7 et 8 avril.
L’échantillon représentatif de Français (2 016 personnes) a ainsi été interrogé par Ipsos sur un ensemble de mesures qui limitent les libertés traditionnellement considérées comme essentielles, comme celles allant et venant ou d’entreprendre favorables ou non à:
La fermeture des transports publics;
L’instauration d’un couvre-feu et d’un contrôle des déplacements par la police, la gendarmerie et l’armée;
Le confinement général de la population avec interdiction de sortie du domicile, sauf pour des raisons médicales (vagues 2 à 4);
La fermeture des commerces et entreprises non indispensables;
Une quarantaine obligatoire pour les patients infectés hors du domicile;
Utilisation du téléphone portable pour contrôler les déplacements (vagues 2 à 4);
Un test de dépistage systématique du Covid-19 (vagues 3 et 4).
Des appréciations qui évoluent dans le temps
De façon synthétique, la plupart de ces choix de politiques publiques recevaient une approbation assez forte de notre échantillon lors des trois premières vagues.
La situation évolue cependant de façon très nette lors de la vague 4. L’adhésion au couvre-feu est importante avec un avis favorable passant de 60,2% pour la vague 1 à 79,6% pour la vague 2 avant de retomber à 70,8% lors de la dernière vague en date. La fermeture des commerces et entreprises non indispensables qui recueillait un très fort niveau d’approbation (plus de 80% sur les avis favorables pour les trois vagues avec un pic à 87,5% lors de la seconde) s’écroulait à 60,5 % (1).
La fermeture des transports publics qui faisaient également l’objet d’une appréciation positive, certes moins marquée que pour les deux articles précédents, connaît la même évolution. Alors que le maximum d’avis favorable sur cette question était de 63,3% lors de la vague 2, sur tombe à 53% en vague 4.
Le cas de la question particulièrement sensible du confinement général suit la même tendance. Si ce point recevait une majorité d’avis favorables (57,6% dans le vague 2 à partir de laquelle a été posée cette question), cette tendance s’érodait lors de la vague 3 pour tomber à 53,4%. Lors de la vague 4; le taux d’approbation du confinement passe pour la première en dessous de la barre des 50% (48,7% exactement).
En contrepartie, les avis défavorables se rapprochent désormais des tiers de l’échantillon (29,3% lors de la vague 4). La mesure privative de liberté par excellence est donc celle pour laquelle l’approbation, dès forte, décroît rapidement pour tomber en dessous de la barre symbolique des 50%.
Exceptions et incertitudes
Deux exceptions, pour lesquelles les taux d’approbation progressent, doivent cependant être relevées.
La première concerne la mise en place du test de dépistage systématique, pour lequel sur passe de 85,4% d’adhésion lors de la vague 3 à 86,1% lors de la vague 4. Il faut ici souligner que cette mesure est plébiscitée alors même qu’elle n’est ni réalisée, ni, semble-t-il, réalisable pour le moment en France.
Cette décision adoptée dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche ou l’Estonie a rencontré des preuves d’un taux de tests au moins deux fois supérieur (plus de 10 personnes testées pour 1000 hab. Contre moins de 5 en France) à celui engagé par la France.
Figure 1. Évolution des avis favorables entre la vague 1 et 4 (en%)
Figure 1. Évolution des avis favorables entre la vague 1 et 4 (en%). Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020, Auteur fourni
Une autre évolution notable concerne l’utilisation des téléphones portables pour contrôler les déplacements. Si cette mesure est moins contestée avec le temps qui passe, le taux d’approbation reste cependant limité à 40,5% (contre 34% en vague 2) des réponses en vague 4 même si de nombreux débats ont lieu sur le sujet dans les médias et sur les réseaux sociaux.
De façon générale, si l’on excepte les deux sujets que l’on vient d’aborder, la vague 4 vient confirmer ce qui s’amorçait avec la vague 3. Pour la plupart des propositions une courbe en V inversé plus ou moins prononcée se précise. À l’acceptation maximale qui s’est manifestée à l’issue des dix premiers jours de confinement (vague 2), se substituer progressivement une lassitude, si ce n’est pas une impatience, plus ou moins marquée.
Dans certains cas, les contraintes fortes sur la vie quotidienne et économique même des effets des taux d’acceptabilité. C’est par exemple le cas pour la fermeture des entreprises non indispensables pour les taux d’opinions favorables recule de plus de 20 points.
C’est vrai également dans une moindre mesure augmentant la fermeture des transports publics ou encore augmentant la quarantaine obligatoire. Mais il est particulièrement révélateur de constater, comme nous avons déjà indiqué plus haut, le passage à moins de 50% de l’approbation du confinement général de la population qui reste la mesure emblématique de la lutte contre l’épidémie en France.
Une vraie différence se manifeste ici: alors qu’entre les vagues 2 et 3, les taux étaient toujours supérieurs aux pourcentages initiaux de la première vague, ce n’est plus le cas pour tous les articles lors de la vague 4. Après trois semaines de confinement, le lourd bilan de décès annoncé tous les soirs n’a plus le même impact.
L’effet de légitimation des restrictions des libertés publiques associées à la forte prise de conscience de l’importance de la pandémie, qui se manifeste notamment par l’augmentation du nombre de morts, s’est estompé.
La forte incertitude sur le fonctionnement de l’économie de demain combinée à l’émergence des controverses (telles que l’utilisation et la disponibilité des masques, l’emploi de l’hydroxychloroquine) autour de la gestion de la crise déclenchée les conditions d ‘ un flottement dans l’opinion sur la légitimité des décisions publiques.
Figure 2. Évolution de la satisfaction sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus (en%)
Figure 2. Évolution de la satisfaction sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus (en%). Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020, Auteur fourni
Figure 3. Évolution de la colère sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus entre les vagues 1 et 4 (en%)
Figure 3. Évolution de la colère sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus entre les vagues 1 et 4 (en%). Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020, Auteur fourni
Insatisfaction augmentée
Cette évolution intervient dans un contexte d’insatisfaction accrue sur la manière dont le gouvernement s’occupe de la pandémie de coronavirus (figure 2).
Cependant, cette insatisfaction n’apparaît pas seulement comme le résultat d’une lassitude devant l’enlisement perçu de la situation. Elle est aussi le résultat d’une colère augmentée (+16 points en 4 semaines) et majoritaire à ce stade (53%) vis-à-vis de la manière dont l’exécutif gère la crise du coronavirus.
Sans surprise, plus on est en colère, moins on soutient des mesures de privation des libertés comme, par exemple, le traçage des téléphones portables (figure 4).
Figure 4. Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon le niveau de colère sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus lors de la vague 4 (en%)
Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon le niveau de colère sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus lors de la vague 4 (en%). Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020, Auteur fourni
Cette colère se double d’une défiance s’accumule dans la parole publique, qui est logiquement associée à l’opposition aux mesures restreignant les libertés publiques.
Figure 5. Évolution de la réponse à la question «à votre avis, quelle est la réponse que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus» entre les vagues 1 et 4 (en%)
Figure 5. Évolution de la réponse à la question «à votre avis, quelle est la réponse que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus» entre les vagues 1 et 4 (en%). Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020, Auteur fourni
Par exemple, sur le sujet particulièrement délicat du traçage des téléphones portables, plus les répondants doutents de la transparence du gouvernement, plus ils ont un avis défavorable sur un tel dispositif de surveillance de l’épidémie.
Figure 6. Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon les réponses que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus lors de la vague 4 (en%)
Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon les réponses que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus lors de la vague 4 (en%). Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020, Auteur fourni
Après quatre semaines de confinement, les attitudes des Français oscillent entre résilience, lassitude et colère. L’accumulation soudaine de mesures sanitaires et de restriction de libertés individuelles, comprend et accepte largement élargi en début de crise, provoque aujourd’hui un choc de moindre acceptabilité sociale.
C’est à coup sûr un point de vigilance dans la gouvernance politique de la crise qu’il nous faut suivre au cours des prochaines semaines.